24- Une âme emprisonnée

Publié le 12 Mai 2013

Abrahel m'avait demandé d'attendre cinq à dix minutes avant de revenir. Je comptai donc exactement sept minutes et trente secondes puis, d'un geste aussi théâtral qu'inutile, je rangeai dans ma poche mon téléphone invisible avant de retourner dans l'appartement. En poussant la porte, j'espérai avoir laissé assez de temps à Abrahel, et qu'elle n'avait pas fait trop de mal à notre guide. En arrivant dans la pièce qui nous avait été présentée comme étant "le grand salon", je constatai qu'un seul de mes deux souhaits avait été exaucé: Abrahel aurait probablement eut besoin d'une à deux minutes de plus. La scène avait quelque-chose de cocasse et de pathétique à la fois, même si le côté pathétique prédominait nettement dans un premier temps. Notre hôte, le châtelain, se tenait debout au milieu de la pièce, le pantalon et le slip baissés sur les chevilles, son sexe pendouillant entre ses jambes (soyons précis, d'un point de vue technique, le terme le plus adapté dans cette situation serait sans doute demi-molle), le regard perdu. Mon intrusion ne parut pas le troubler, c'est à peine s'il m'adressa un regard. Abrahel, face à lui, était en train de se relever d'une position que je supposais être à genoux (allez savoir pourquoi...). Je me raclai la gorge pour signifier ma présence dont tout le monde semblait se foutre royalement.

- Qu'est ce que tu as foutu? demandai-je lorsqu'Abrahel daigna enfin se tourner vers moi.

Elle m'adressa un regard amusé et rétorqua sur un air de défi:

- Je crois que tu ne devineras jamais...

En effet, le faisceau d'indice était mince: une femme agenouillée devant un homme au pantalon baissé et dont le sexe selon tout vraisemblance semblait avoir été en érection quelques instants plus tôt... Néanmoins, je tentais ma chance et en émettant une supposition farfelue:

- Laisse-moi réfléchir, dis-je en mimant le mec qui réfléchissait. Tu lui as sucé la bite?

Abrahel soupira.

- Non, fit-elle contrariée. Enfin, si techniquement. Mais c'est pas ça l'important. L'important, c'est que je lui ai volé son âme.

- Volé son âme? répétai-je vaguement interloqué.

- Oui, c'est l'expression consacrée, m'expliqua-t-elle, bien qu'en réalité, elle soit assez impropre puisqu'il était relativement consentant.

Ce à quoi elle ajouta:

- Hein pépère? en donnant une claque sonore sur les fesses de notre hôte.

Ce dernier ne réagit pas. Il était à poil, on parlait de lui, on pouvait même lui mettre de grosses claques sur les fesses sans qu'il esquisse le moindre geste. Mon esprit affûté fit rapidement le rapprochement avec ce qui s'était passé au Macdo la veille.

- Tu l'as transformé en zombie, comme Tony?

- Non, pas exactement. Là, notre pote ne réagit pas parce qu'il est encore un peu sous le choc d'avoir perdu son âme, mais ça va lui passer.

- Et après?

- Et après, rien. Sa vie reprendra son cours normal, sauf qu'il n'aura plus d'âme. Du coup, pour espérer la récupérer, il n'aura pas d'autre choix que de nous rendre quelques petits services.

- Ouais, fis-je perplexe, en gros la seule différence avec Tony c'est qu'au lieu de le forcer à t'obéir, tu le fais chanter...

- Non, me rectifia-t-elle, il y a une autre différence: c'est que je peux faire durer ce chantage toute sa vie, et même au-delà.

Je fus pris d'une certaine pitié pour notre pauvre châtelain. Je sentais qu'il allait morfler.

Notre serviteur recouvra progressivement ses esprits, et son pantalon par la même occasion, ce qui rendit la situation un peu moins embarrassante. Abrahel lui annonça qu'on prenait l'appartement et que l'on emménageait le soir même. Après de rapides négociations, il consentit à un remise symbolique sur loyer (d'environs cent pour cent). L'affaire étant conclue, il fut autoriser à rentrer chez lui, à l'étage au-dessus.

Abrahel et moi nous retrouvions donc officiellement locataires d'un immense appartement de standing dans le quartier le plus chic de la ville. Je me dis que finalement, la journée aurait pu bien plus mal tourner.  

 

Rédigé par Béranger Jouvelle

Publié dans #livre 1

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