13- Sous les étoiles

Publié le 3 Avril 2013

Il faisait beau. Nous avions décidé de rentrer à pieds. Du moins, Abrahel avait décidé de rentrer à pieds. Je n'y voyais pas d'objection, j'avais moi aussi besoin de prendre l'air, car j'avais du mal à chasser de mon esprit la vision perturbante de Tony tentant de s'enfiler un steak par voie rectale.

- Qu’est-ce que tu lui as fait exactement? demandai-je, ne sachant pas trop comment aborder le sujet.

- Je l’ai embrassé, me répondit-elle avec son laconisme habituel.

- Je vois. Et tous les mecs que tu embrasses sont pris d’une irrépressible envie de s’enfoncer un steak dans le cul?

Elle secoua la tête.

- Non. Mais ils se soumettent à ma volonté. Après, je ne leur fais pas toujours faire des trucs aussi marrants...

J’essayais de comprendre:

- Donc, tu les embrasses, et ils t’obéissent, c’est bien ça?

- C’est un peu plus compliqué de ça en fait. Pour faire simple, en les embrassant, je leur prends... disons de leur énergie vitale. On appelle ça de l’élan. J’en ai besoin pour vivre, c’est de ça que je me nourris. Eux, ça les rend apathiques. Et soumis.

- Tu te nourris de cet élan? Tu n’a pas besoin de nourriture?

- Je n’en ai pas besoin, mais je peux manger et boire. Je peux faire tout ce qui est en lien avec la notion de plaisir.

- Et qu’est-ce qui se passe si tu n’embrasses personne?

Elle haussa les épaules:

- Je dépéris. A terme, je meurs, je suppose.

- Et Tony, il va devenir quoi?

- Tony?

- Le mec que tu as embrassé. Qu’est-ce qu’il va devenir?

- Rien. Notre baiser n’a duré que quelques secondes. Tout va rentrer dans l’ordre pour lui dans quelques jours.

- Quelques jours!

- C’est proportionnel à la durée du baiser. Plus il est long, plus j’emmagasine d’élan, et plus l’état de soumission léthargique dure longtemps. Si le baiser dure vraiment longtemps, cet état pourrait théoriquement devenir permanent.

- C’est chaud, commentai-je. Devenir un zombie pour t’avoir embrassé... Qu’est-ce que ça doit être quand tu fais l’amour!

- Le mec meurt.

- La vache! C’est con.

- Comment ça? me demanda-t-elle.

J’avais dit ça sans réfléchir. Cette remarque s’était imposée d’elle-même, du coup, il me fut difficile d'énoncer clairement le fond de ma pensée:

- Bin... expliquai-je.

- Tu avais prévu de me faire l’amour? m’interrogea-t-elle.

- Hein? Euh... Non...

Elle fronça les sourcils.

- Je ne suis pas à ton goût?

- C’est à dire, si. Si, tu l’es. Mais...Tu vois... Enfin, tu comprends...

La probabilité qu’elle comprenne était assez faible, avouons-le. Une fois de plus, je m’empêtrais dans mes explications. C’était assez lamentable. J’optai donc pour le silence. Elle eut la courtoisie de ne pas insister.

Je levai la tête, pour essayer de penser à autre chose. Abrahel avait raison. La nuit était belle. La ville était calme. Nous marchions sous les étoiles. Malgré la tournure qu’avait prise la soirée, et d’une manière tout à fait inexplicable, je me rendis compte que je me sentais bien, à marcher avec elle sur ce trottoir. C’était une sensation étrange. J’oubliai sa susceptibilité, son arrogance, son caractère insupportable. Je jetai un léger coup d’oeil dans sa direction. A quoi pensait-elle? Son visage était inexpressif, mais je crus distinguer un léger sourire se dessiner sur ses lèvres vénéneuses, lorsqu’elle perçut mon regard.

Notre trajet dura presque une heure. Nous n’avons plus prononcé un mot après notre conversation sur ses baisers empoisonnés. Nous arrivions à proximité de chez moi; je me rendis alors compte qu’elle n’avait pas lâché ma main depuis que nous étions sorti de ce Macdo.

Rédigé par Béranger Jouvelle

Publié dans #livre 1

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