21- Un départ

Publié le 1 Mai 2013

Lorsque je sortis de ma chambre, mon sac de voyage sur l’épaule, mon père m’attendait dans le couloir. Enfin, il faisait mine de chercher un truc sur le petit meuble noir près de l’entrée, mais je savais qu’en fait, il m’attendait. Il leva les yeux dans ma direction, l’air faussement surpris. Je discernais une certaine ambivalence dans son regard: d’un côté il semblait embarrassé par ce qui venait de se passer, mais d’un autre, il paraissait ravi, voire envieux, de ce qui était en train de m’arriver. Il y avait comme une petite lueur dans ses yeux qui me disait: vas-y, fonce. J’ai toujours rêvé de faire un truc comme ça, mais j’en ai jamais eu les couilles!

Je lui adressai un léger sourire et il comprit que j’avais entrevu le fond de sa pensée. Il détourna le regard.

- Alors tu t’en vas...

Belle entrée en matière. Je me contentai de hocher la tête.

- Bien... fit-il en desserrant sa cravate.

Nous étions vraisemblablement aussi doués l’un que l’autre pour exprimer nos sentiments. Je me contentai donc de répondre “Ouais...” en détournant le regard à mon tour.

Nous sommes restés quelques instants silencieux dans cette posture un peu ridicule, puis je lui refis le coup du sourire un peu forcé avant d’ajouter:

- Bon... Je devrais peut-être y aller.

- Attends...

Mon père fouilla dans sa poche puis m’attrapa la main, dans laquelle il glissa un billet de cinquante euros.

- Tiens, me dit-il. Paye-toi une nuit à l’hôtel, éclate-toi avec cette fille. Reviens demain, quand les choses se seront tassées...

Il hésita un peu avant d’ajouter:

- Malgré tout ce qu’elle peut dire, ta mère.... Elle t’aime. Fais comme bon te semble, mais tache juste de ne pas l’oublier.

Il me sembla que nous n’avions pas eu de conversation emprunte d’une telle sincérité depuis le jour où il m’avait expliqué que le Père Noël n’existait pas. D’un mouvement un peu gauche, je le pris dans mes bras.

- Merci.

Je le libérai de cette étreinte maladroite et m’éloignai en silence.

Jérôme, qui semblait surgir de nulle part (il surgissait en fait du canapé du salon), se précipita vers moi alors que j’arrivais au niveau de la porte d’entrée.

- Alors tu t’en vas...

Je notai une certaine homogénéité dans cette famille quant à la façon de s’exprimer.

- Ouais... répondis-je.

Il semblait troublé. J’aurais voulu faire quelque-chose pour le rassurer; un mot, un geste, n’importe quoi. Mais rien ne me venait. Je soupirai.

- Où tu vas aller? me demanda-t-il.

- J’en sais rien. Mais t’en fais pas. C’est rien, ça va s’arranger.

En prononçant ces mots, je me rendis compte qu’ils sonnaient faux. Et mon frère n’était pas dupe:

- Non, répliqua-t-il. T’as salement merdé sur ce coup-là.

- Je sais, lui répondis-je en lui donnant une petite tape sur l’épaule. Je sais...

 

Rédigé par Béranger Jouvelle

Publié dans #livre 1

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